Religieuses au cœur de la pandémie: isolées, mais pas seules

Le Québec compte actuellement 7 973 religieux et religieuses, ce qui représente 70 % de tous les religieux du Canada. Plus de la moitié d’entre eux sont âgés de plus de quatre-vingts ans. Les couvents, maisons et résidences où ces personnes habitent sont particulièrement vulnérables à la pandémie de Covid. Trois religieuses qui ont dû composer avec l’intrusion du virus dans leurs milieux de vie ont accepté de nous partager comment elles vivent ce temps d’isolement.

Sœur Doris Lamontagne est la sœur supérieure des Petites Franciscaines de Marie de Baie-Saint-Paul. Au moment où je m’entretiens avec elle, elle vient de vivre sur Zoom un neuvième hommage à une consœur décédée de la Covid. La communauté demeure depuis presque quatre ans dans une résidence privée pour ainés, où les religieuses partagent les espaces communs avec des laïcs. 

Contrairement au printemps dernier, où les résidentes pouvaient circuler dans les corridors comme à l’extérieur, toutes sont présentement confinées dans leurs studios. « Elles sont comme en prison ! » s’exclame sœur Doris. En effet, contrairement à une retraite au monastère, cet isolement n’est pas choisi, mais subi. Sœur Doris poursuit :

« Et c’est arrivé subitement ! La Covid ne nous a pas annoncé sa venue, elle ne nous a pas demandé de nous préparer ! Ça nous a obligés à des aménagements rapides. Habituellement, les religieuses mangent au réfectoire. Maintenant, les repas leur sont livrés dans leurs chambres, qui ne sont pas aménagées pour ça. Les sœurs n’avaient même pas de sel ni de poivre ! Le vingt-sept octobre, on a acheté des cafetières et des bouilloires, pour qu’elles soient au moins capables au de se faire un café. On leur a donné des microondes pour qu’elles puissent manger chaud. Ça fait maintenant six semaines qu’elles sont cloitrées. Les religieuses sont ingénieuses. Chacune s’occupe selon sa créativité. Certaines s’habillent chaudement, ouvrent la porte de leur balcon, et prennent l’air depuis leur chambre. D’autres ont fait leurs décorations de Noël. Une autre coud des masques. »

À la Maison généralice

Bien que l’intrusion de la Covid soit récente à la Maison généralice des Sœurs de la Charité de Québec, le quotidien des 292 sœurs qui y demeurent a été chamboulé depuis le printemps. Sœur Odile Lessard relate les changements successifs qui se sont bousculés dans la vie des cinq congrégations religieuses qui demeurent sous ce même toit : 

« À partir du moment où l’état d’urgence sanitaire a été déclaré, le 13 mars, contacts entre sœurs ont été réduits. Des corridors et des escaliers spécifiques leur étaient attribués. Certains étages leur étaient interdits. Le 22 mars : les prières communautaires ont été annulées, ainsi que les périodes de récréation ». 

Les religieuses ont tout de même pu assister à l’Eucharistie jusqu’au 17 avril, où elles étaient invitées à communier spirituellement afin qu’une distance puisse être maintenue entre elles. À partir de cette date, elles ont dû suivre la célébration en groupes restreints, par téléviseur, depuis les salles attribuées à leurs communautés particulières.

Si l’été leur a donné un moment de répit, leur permettant d’accueillir des visiteurs et de retourner à la chapelle, l’arrivée de la Covid dans la Maison a tout arrêté.

Au début du mois de novembre, quelques employés ont été déclarés positifs à la Covid. L’ensemble des religieuses a dû se reclure dans les chambres, où elles doivent passer l’essentiel de leur temps. Ça n’a pas empêché sœur Odile de poursuivre, par visioconférence, ses rencontres avec les adultes qui se préparent au Baptême. 

Aux Jardins d’Évangéline

Sœur Denise Micheline Gagné est responsable du comité de liturgie aux Jardins d’Évangéline, où elle est déménagée avec les Sœurs Servantes du Saint-Cœur de Marie. Cela fait depuis le mois de mars qu’elles n’ont plus accès à la messe. 

« On ne pouvait pas se rassembler pour les temps de prière, de récréation ou de partage. Au début, on pouvait sortir, mais seulement en étant accompagné. C’était tannant, car on ne pouvait pas marcher à notre rythme. Certaines ont donc arrêté d’aller marcher, tout simplement. Le service des repas a été changé. On ne pouvait plus aller à la cafétéria, on devait manger dans nos chambres. Les cuisiniers servaient ce qu’ils pouvaient, mais ça arrivait souvent froid. Certains jours, les poubelles ont mangé plus que certaines sœurs. On a tâché d’être patientes ».

Je consens à ce qu’on descende dans ce qui est décapant, dépouillant, incompréhensible. Il ne faut pas succomber à la désespérance : Jésus est avec nous.
Soeur Doris Lamontagne, supérieure des Petites franciscaines de Marie

Par-delà les soucis du quotidien et les désagréments alimentaires, c’est la difficulté à s’accompagner les unes les autres qui a dérangé les sœurs, habituées à partager leurs joies comme leurs peines. 

Sœur Denise s’attriste en se remémorant le décès de ses consœurs :

« En mai, on a perdu onze sœurs. Une dernière est décédée en juin. Ça partait vite. Ce qui nous a le plus troublées, c’est qu’on n’a pas pu rester avec elles. On a l’habitude d’accompagner les personnes en fin de vie, de prier avec et pour elles. On ne pouvait pas y aller, c’était interdit. Les infirmières ont été très gentilles. Elles ont demandé qu’on leur fasse parvenir les prières, pour qu’elles-mêmes puissent assurer cette présence priante au chevet des mourantes. On a trouvé les préposées et les infirmières très humaines. La prière nous a aidées. »   

Le visage de Dieu

Pour sœur Odile, Dieu est l’Allié des êtres humains, pas celui de la Covid. Cette pandémie ne vient pas de Dieu, qui souffre avec nous : 

« La volonté de Dieu peut nous faire peur. Quand nous nous appuyons sur le Seigneur, l’impossible devient possible. Notre vie spirituelle repose sur le Christ et sur sa grâce. La tentation ? Vouloir s’en sortir seul. Quand nous connaissons nos fragilités, nous vivons beaucoup plus avec le Christ. N’oublions jamais que Dieu veut notre bonheur. Ce qu’il nous demande, c’est toujours pour notre bien. La sainteté, ce n’est pas de souffrir ou de ne pas souffrir. La sainteté, c’est de s’en remettre totalement à Dieu. Pour cela, il nous faut lâcher prise. Notre vie ne nous appartient pas, elle appartient à Dieu. 

À travers cette épreuve, la vocation de sœur Denise prend tout son sens. Même si elle se désole de ne plus pouvoir chanter ni communier, sœur Denise suit la messe chaque jour à la télévision. 

« La foi nous a fait vivre. Il y en a qui ont internet, d’autres non, car elles sont trop âgées et n’ont jamais pu apprendre. Alors on a établi un réseau. Quand on reçoit un message d’encouragement, on fait passer le message à la suivante. On fait une chaine afin que toutes puissent être soutenues, malgré leur condition. On s’est recentrée sur notre dévotion au Saint Cœur de Marie, le cœur de notre spiritualité, qui nous est chère et qui a du sens pour nous ».

En tant que supérieure de sa communauté, sœur Doris doit veiller au bien de toutes. Elle a l’impression de naviguer sur une mer où les flots sont très agités. Il y a de la houle, de grosses vagues, beaucoup d’imprévus. Mais elle sait qu’elle n’est pas seule : 

« J’ai le sentiment que dans cette traversée, le Seigneur est avec nous. Notre devise, c’est “La Croix, notre vie”. Quand Jésus se retrouve nu sur la Croix, il descend dans les profondeurs, il est dépouillé de tout. Je consens à ce qu’on descende dans ce qui est décapant, dépouillant, incompréhensible. Il ne faut pas succomber à la désespérance : Jésus est avec nous. On a besoin de Dieu d’abord, et les unes des autres. Je demande à Dieu de nous aider à rester fidèles, à continuer de descendre dans les profondeurs, car c’est là que Dieu révèle son visage. Faire connaitre et aimer Dieu, c’est la vocation d’une Petite franciscaine de Marie. Nous y consentons, même si parfois, c’est douloureux ». 


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À propos de l'auteur : Le Verbe

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